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Michel TOUPET, Christian VAN NECHEL
Dans l’antiquité, cinq sens ont été décrits : la vue, l’audition, le toucher, le goût et l’odorat. La perte d’un de ces sens apparaît de façon très concrète à tout le monde. Perdre la vue, c’est devenir aveugle. Perdre l’audition, c’est devenir sourd…
L’équilibre, comme l’orientation dans son environnement, constituent un 6e sens, beaucoup moins connu, complexe et plus difficile à appréhender. Beaucoup d’entre nous ne savent pas qu’ils ont un appareil vestibulaire (organe de l’équilibre) et, pour les patients, c’est quand ils perdent cette fonction qu’ils découvrent son existence. Ils ne savent pas relier leurs symptômes à une perte sensorielle. C’est l’une des raisons pour lesquelles le diagnostic est souvent tardif. C’est aussi pourquoi leur entourage peine à comprendre ce qui leur arrive.
Pourtant, ce 6e sens, nous apprenons à le maîtriser pendant toute notre enfance : en apprenant à se tenir debout, à marcher, courir, sauter, faire du vélo, du ski ou d’autres sports de glisse et déplacement… ou encore, tout simplement en apprenant à contrôler nos gestes.
D’ailleurs, à quoi ça sert l’équilibre ? C’est une réponse à la pesanteur (ou force de gravité) que subissent tous les êtres vivants sur Terre et qui fait qu’à tout instant nous sommes attirés vers le sol. L’évolution nous a fait nous mettre debout et l’équilibre est la faculté dont l’être humain s’est doté pour que notre corps puisse se mouvoir en maintenant sa verticalité.
Les récepteurs visuels fournissent des références verticales et horizontales et cherchent à distinguer les déplacements des images sur la rétine qui résultent des mouvements de la tête, des déplacements des objets regardés. Les récepteurs labyrinthiques fournissent une direction de l'axe gravitaire et quantifient les mouvements de la tête dans l'espace. Les récepteurs musculaires et tendineux informent le système nerveux des positions relatives de la tête et des segments du corps. |
Le vestibule ou appareil vestibulaire est situé dans l’oreille interne (ou labyrinthe) ; il y en a un dans chacune des deux oreilles. Ils fonctionnent donc en binôme.
Le vestibule est composé de 5 cavités contenant 5 systèmes de capteurs : 3 canaux semi-circulaires (canal horizontal, antérieur et postérieur), et 2 petites poches, l’utricule et le saccule, aussi appelés organes otolithiques. Ces capteurs nous permettent, normalement, de situer en permanence l’orientation et les mouvements de la tête par rapport à l’axe gravitaire ; ils mesurent les accélérations, les inclinaisons et les rotations. Ces informations sensorielles sont transmises par le nerf vestibulaire au tronc cérébral puis au cervelet et au cerveau.
Un peu d’anatomie et de physiologie
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Le sens de l’équilibre chez l’Homme est une fonction complexe qui n’est pas que le résultat du travail du vestibule. C’est plutôt la résultante d’informations sensorielles provenant de trois sources principales.
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L’ensemble des informations sensorielles qui concourent à l’équilibre (l’œil, le vestibule, la sensibilité musculaire) converge vers les noyaux vestibulaires (en jaune sur la figure) situés à la base du cerveau. Les neurones des noyaux vestibulaires sont eux-mêmes sous contrôle du cervelet.
Comme nous l’avons vu, les deux vestibules sont des capteurs sensibles aux accélérations, aux inclinaisons et aux rotations. Ils ont un rôle prépondérant dans l’équilibre et la stabilisation du regard. Ils permettent ainsi de conserver le regard fixe tout en tournant la tête.
La vue nous offre des repères par rapport à l’environnement qui nous entoure, aux choses avec lesquelles nous interagissons.
L’action de prendre un verre sur une table sollicite notre vue en premier lieu pour savoir où est le verre.
En plus de nous informer sur ce qui nous entoure, que l’on peut considérer comme une information statique, la vue nous permet de contrôler la progression de notre corps en mouvement dans cet environnement.
C’est ainsi que nous pouvons prendre le verre.
Les vestibules et le sens musculaire nous permettent d’estimer le mouvement que nous venons de faire, alors que les yeux voient ce qui a bougé.
Notre environnement comporte de nombreuses références verticales et horizontales telles que les châssis de fenêtre et les bords des murs dans les environnements urbains mais aussi l'axe des arbres et l’horizontalité du sol dans la nature.
Ces informations contribuent très clairement à notre représentation mentale de l'axe vertical indispensable à l’équilibration.
Nous pouvons tous, y compris en absence de déficit vestibulaire, être mis en difficulté lorsque ces références visuelles sont absentes ou trompeuses.
Si notre regard est fixé sur une cible visuelle stable dans l'espace mais que notre corps est instable, nos yeux seront animés de petits mouvements pour maintenir une image stable de cette cible sur notre rétine.
Ces petits mouvements oculaires sont dès lors le reflet de notre instabilité et sont utiles pour la contrôler.
La proprioception désigne la perception, consciente ou non, de la position des différentes parties de notre corps. Nos muscles, nos tendons, les ligaments de nos articulations, nos organes de façon générale, disposent de récepteurs sensibles à l’étirement ou à la pression ; ces capteurs donnent en permanence des informations sur leur position, la vitesse de leur mouvement ou encore leur verticalité. Ces informations sont indispensables pour construire une représentation mentale de notre corps et en particulier de son centre de gravité. L'équilibration en condition statique impose que la projection de ce centre de gravité sur le sol soit dans l’espace entre les deux pieds, la base de sustentation (la surface qui permet l’équilibre). Les capteurs de pression et de position des pieds sont une source d’informations permettant de connaître les oscillations du corps et contribuent à construire une direction verticale.
C’est en combinant les informations de ces trois sources que nous assurons au mieux notre équilibre. C’est là qu’entre en jeu le cervelet.
L’information converge immédiatement dans les parties les plus archaïques du cerveau, montrant le côté essentiel à la vie de ces assemblages de perception du mouvement : le nôtre, celui des autres.
Le cervelet contrôle cette fonction d’équilibre et de vision stabilisée.
Le cervelet, organe nerveux situé en arrière du cerveau, participe à la gestion de l’équilibre et de la posture (ainsi que de la coordination des mouvements).
Il reçoit des informations des yeux, des vestibules et des propriocepteurs (via le tronc cérébral) ; il va combiner ces différentes informations, pour que nous maintenions notre équilibre et que nos mouvements soient précis.
Le cervelet ne commande pas, il supervise et donne en temps réel au cerveau un état des lieux de notre corps dans l’espace, de sa position et de la façon dont il réagit aux contraintes de vitesse et d’accélération des mouvements.
Le cervelet compare en permanence les informations sensorielles reçues et les informations attendues compte tenu des modèles internes de nos actions dont il dispose par apprentissage.
Si cette comparaison aboutit à une différence, le cervelet va générer des commandes d'ajustement de l'action et très souvent induire l'apparition d'un symptôme (dont on a conscience).
La rééducation de l'équilibre, similaire à un processus d'apprentissage, va modifier ces modèles internes pour les adapter à un éventuel déficit résiduel.
Cette gestion de l’équilibre, cette capacité de synthèse qui nous permet d’ajuster nos mouvements est un processus adaptatif ; le cervelet l’a acquise à force de répétition.
Nous l’avons ainsi sollicité toute notre enfance pour apprendre à marcher, à courir, faire du vélo… et à rendre nos gestes précis.
C’est ce même processus qui a permis à l’homme de naviguer, de monter sur des sommets, d’aller dans l’espace…
De plus, en fonction des circonstances, le cervelet peut pondérer l’importance donnée à telle ou telle information sensorielle : ainsi l’importance des informations vestibulaires est atténuée pour éviter le mal de mer, celle donnée à la proprioception est augmentée pour se sentir à l’aise au bord d’une falaise…
De même, le judoka pilote en priorité son équilibre avec les sensations de son corps (proprioception) plutôt qu’avec sa vue.
En fonction de nos intentions et des informations fournies par nos sens, le cerveau planifie nos mouvements, il anticipe l’action. Il sait déjà ce que va faire la main qui s’avance vers le verre. Le mouvement est déjà connu et la réponse sensorielle est attendue : si le verre est vide alors qu’on le pensait plein, il y a un effet de surprise.
Notre cerveau prépare donc nos actions et se nourrit des informations d’équilibre qui lui sont fournies pour ajuster nos mouvements. Les vestibules participent pleinement à la perception du positionnement de notre corps dans l’espace.
L’information sensorielle de mouvement par la vision, par les labyrinthes et par la proprioception du corps converge aussi sur les structures cérébelleuses : flocculus et olives bulbaires pour optimiser les réflexes d’équilibre et de stabilisation de la vision.
Comme on l’a vu rien n’est linéaire dans le traitement de l’information et l’action qui en résulte. Notre maîtrise de l’équilibre est le résultat d’allers et retours incessants entre notre cerveau, notre cervelet, nos muscles et l’ensemble de nos capteurs qui fournissent les informations sur l’environnement, la position de notre corps dans cet environnement et sur la conscience que nous en avons. C’est, en quelque sorte, la mise en œuvre d’un pilotage automatique que l’on pourrait résumer à action-contrôle-ajustement.
En cas de vestubulopathie bilatérale, il est plus difficile de se tenir en équilibre dans un univers visuellement instable.
Quand la tête effectue une rotation vers la gauche, les yeux tournent vers la droite et restent ainsi fixés sur un objet dans le champ visuel.
Une réponse similaire est provoquée par des mouvements verticaux de la tête, tels que ceux qui se produisent pendant la marche et la course.
Quand on tourne la tête, les yeux tournent en sens opposé, pour stabiliser l’image sur la rétine. Ces réponses réflexes sont ajustées par le cervelet.
Il faut noter ici une chose importante : un réflexe est, par définition, « une réaction automatique, involontaire et immédiate à une stimulation ». Nos réflexes sont donc là, théoriquement, pour nous faciliter la vie (voire nous la sauver), en nous évitant de réfléchir.
Les symptômes évoqués plus haut (chapitre II : des symptômes bizarres) sont tous liés à un déficit des deux vestibules qui peut avoir différentes causes.
Parmi les médicaments ototoxiques, ceux qui peuvent entraîner un déficit vestibulaire bilatéral définitif sont principalement des antibiotiques de la famille des aminosides, comme la streptomycine (prescrite dans les années 50) et la gentamicine (prescrite dans les années 80), utilisés pour soigner de graves infections comme une septicémie ou une méningite.
C’est probablement la cause la plus fréquente de vestibulopathie bilatérale. Les micro-artères qui vascularisent les vestibules subiraient un rétrécissement allant jusqu’à l’obstruction par des globules blancs et des plaquettes.
Beaucoup de patients évoquent une année particulièrement difficile avant l’apparition de la maladie… évoquant le rôle du stress sur les microvaisseaux du labyrinthe. Ce sont des hypothèses sur lesquelles travaillent encore les chercheurs.
Outre les atteintes neurologiques inflammatoires, auto-immunes, génétiques, traumatiques, certains cas d’atteintes vestibulaires bilatérales ont été observés après une méningite, une neuropathie bilatérale. Sont également évoquées certaines dégénérescences cérébelleuses.
Certains enfants souffrent de problèmes d’équilibre liés à un vieillissement prématuré de leurs vestibules, ce qui fait penser à un possible facteur génétique. La capacité d’adaptation de leur cerveau, pour peu qu’ils aient eu le temps d’apprendre à marcher, leur permet souvent de compenser largement ce handicap.
Une atteinte vestibulaire bilatérale est également parfois observée dans une maladie génétique appelée neurofibromatose de type 2.
Cette dernière catégorie rassemble tous les déficits vestibulaires inexpliqués. L’adjectif idiopathique qualifie une maladie (pathos, douleur en grec) qui existe « pour elle-même », sans lien avec une cause déterminée (idios, propre, particulière en grec).
C’est cette pathologie qui nous intéresse spécifiquement dans cette brochure. Elle s’appelle aussi : « déficit vestibulaire bilatéral idiopathique » ou encore « aréflexie vestibulaire bilatérale idiopathique ». En effet, la perte des vestibules entraîne la suppression de deux des trois réflexes : le RVO, qui participe à la stabilisation du regard, et le RVS, qui participe à la stabilisation de son corps dans l’espace. Une autre dénomination de cette maladie est « ataxie vestibulaire bilatérale idiopathique », le terme ataxie signifiant perte de l’équilibre ou de la coordination des mouvements (du grec ataxia signifiant désordre). Les patients atteints sont donc parfois qualifiés d’« aréflexiques » ou d’« ataxiques ».
La VBI est une maladie rare ou orpheline, ce qui signifie qu’elle concerne un nombre restreint de personnes : 1 personne sur 2 000 en population générale (définition du Règlement européen sur les médicaments orphelins). Da façon très approximative, les différents experts consultés estiment qu’il y aurait en France entre 1 000 et 4 000 patients aréflexiques.
C’est à l’issue d’une consultation diagnostique, parce qu’il était sans réponse quant à la cause de son handicap nouvellement annoncé, qu’un patient, en 2005, a sollicité son médecin spécialiste afin de créer une association. Attendant lui aussi ce moment depuis fort longtemps, il le mit en rapport avec une autre de ses patientes. Ainsi fut fondée l’« Association Française de la Vestibulopathie Bilatérale idiopathique (AFVBI) » qui édite aujourd’hui cet ouvrage.
Les symptômes bizarres que nous avons décrits sont dus à la perte des informations sensorielles provenant des deux vestibules provoquant la perte du réflexe vestibulo-oculaire (RVO), donc de la capacité à automatiser la stabilisation du regard, et la perte du réflexe vestibulo-spinal (RVS), donc de la capacité à stabiliser la posture. L’équilibre dépend alors des seules informations sensorielles provenant des yeux et des capteurs proprioceptifs.
L’un des symptômes les plus fréquents est la sensation de flou visuel ressentie par le patient quand il est en mouvement, le sentiment d’être ivre dès qu’il bouge : en langage médical, c’est ce l’on appelle des « oscillopsies ». Ce symptôme est lié à l’absence du Réflexe Vestibulo Oculaire qui assure la stabilité du regard. Lorsque la tête bouge volontairement ou non (comme par exemple lors des secousses en voiture ou en vélo), il manque l’information vestibulaire qui permettrait aux yeux de compenser le mouvement de celle-ci en direction inverse : les patients ne stabilisent plus l’image sur la rétine et l’image est donc floue, flottante et saccadée (un peu comme si l’on réalisait un mouvement panoramique rapide avec une caméra sans stabilisateur). Dans la rue, en marchant, les patients ne peuvent plus fixer leur regard sur une personne ou un objet (panneau ou vitrine), ils ne reconnaissent plus le visage de gens connus, ne peuvent plus lire le nom d’une rue, regarder une vitrine… C’est comme s’ils se mouvaient sur un bateau qui bouge en permanence et fait osciller l'image, ils vivent dans une imprécision, un flottement continu de leur environnement. Pour retrouver une image nette de cet environnement, il leur faut s’arrêter pour immobiliser leur tête, ce qui stabilise leur vision.
L’autre symptôme le plus courant de la VBI est l’instabilité chronique de l’équilibre qui augmente à l’obscurité ou lors de la marche en terrain instable. Ceci s’explique par le fait qu’en l’absence d’informations vestibulaires, les données sensorielles fournies par la vue et la proprioception deviennent capitales pour l’équilibre : or, la pénombre, l’obscurité perturbent les repères visuels, de même que les terrains instables (sable, boue, verglas, cailloux, pente…) perturbent la proprioception (la perception de notre corps grâce à des capteurs au sein des muscles, articulations, ligaments…). Dans ces conditions, le patient a plus de difficultés à maintenir son équilibre.
Nous avons évoqué d’autres facteurs aggravants tels que l’immersion, la marche au sein d’une foule, ou parmi des rayonnages, l’excès de lumière : c’est aussi parce tous ces facteurs perturbent la vue et/ou la proprioception.
L’immersion diminue l’impact de la proprioception en réduisant l’effet de la pesanteur. Le corps est, totalement ou partiellement, porté par l’eau. Les sensations (donc les données fournies au cervelet) diffèrent notablement de celles habituellement ressenties dans l’air, les pieds posés sur le sol. L’information proprioceptive est alors comme brouillée. En l'absence d'informations visuelles ou proprioceptives permettant d'identifier la direction de l'axe gravitaire, le vestibule, par sa fonction otolithique devient indispensable, y compris chez les sujets sains pour retrouver la surface de l'eau. Cette information étant elle aussi déficitaire chez les patients en aréflexie vestibulaire bilatérale, le retour à la surface devient problématique. Au point que le patient ne peut plus se diriger dans l’eau comme l’expliquent Monique et Jean-Pierre qui ne retrouvent pas la surface après un plongeon. De plus, si la surface de l’eau devient un miroir mouvant et éblouissant, l’information visuelle est alors, elle aussi, fortement perturbée.
L’immersion peut donc représenter un véritable danger pour ces patients.
Pour le patient aréflexique, se mouvoir au sein d’une foule peut être très inconfortable, parce que cette foule mouvante perturbe les références visuelles d’où un équilibre est plus difficile à établir. A cela s’ajoutent la fatigue occasionnée et l’angoisse de ne pouvoir anticiper les mouvements aléatoires de cette foule.
Parcourir les rayons d’une librairie peut être difficile comme l’explique également Monique. L’explication relève de la déficience du RVO, celui qui permet de garder le regard fixe tout en bougeant la tête, déficience responsable des oscillopsies et donc de la difficulté d’utiliser les références visuelles verticales et horizontales formées par les rayonnages lorsque la tête est en mouvement et l’image instable. En effet, la difficulté est ici d’être capable de lire les titres sur les tranches des livres tout en bougeant la tête ou en s’inclinant.
Enfin, l’excès de soleil, de lumière ou au contraire la pluie, la neige qui tombent sont autant de facteurs qui brouillent les informations visuelles.
De plus, le système vestibulaire participe à d’autres grandes fonctions physiologiques, ce qui explique d’autres atteintes chez le patient atteint de VBI.
Normalement, les vestibules assurent, en lien avec l’hippocampe (une structure du lobe temporal interne dans le cerveau, impliquée dans la mémoire), la construction d’une représentation mentale de l’espace dans laquelle s’insère la position de notre propre corps.
L'hippocampe réalise en permanence une cartographie de notre espace en trois dimensions, afin que nous puissions nous orienter.
Toutes ces cartes sont archivées dans notre hippocampe et pourront nous resservir.
Par exemple, lorsque nous revenons sur un lieu, nous nous y retrouvons plus facilement que la première fois que nous l’avons visité ; pour ce faire, nous allons rechercher une ancienne carte stockée dans notre hippocampe et nous l’utilisons pour la superposer avec d'autres informations, notamment celles provenant de notre système de perception des mouvements dans l'espace, afin d'avoir une bonne perception de notre espace.
Chez le patient aréflexique vestibulaire, l’orientation spatiale est fortement perturbée.
Dans les premiers temps, le patient a souvent un rapport très confus à lui-même, à la position de son corps dans l’espace, même dans les lieux de vie quotidiens.
Plus tard, une fois l’évolution stabilisée, cette confusion dans l'espace reviendra dès que l'information visuelle est en défaut, dans la pénombre, ou dès que la fatigue vient entraver les mécanismes de contrôle.
En l’absence de mémoire spatiale, réalisée normalement par l’interaction vestibule-hippocampe, le patient doit donc, en quelque sorte, réapprendre le lieu à chaque visite, ce qui génère fatigue et perte de confiance en soi.
Le système vestibulaire travaille également pendant le sommeil et informe le cerveau de l’état de repos du corps (absence de mouvements de la tête). La production de mélatonine, l’hormone du sommeil qui participe à la régulation de notre horloge biologique interne, en dépend. De la même façon, quand le corps se réveille, le vestibule fournit des informations relatives à sa mise en mouvement.
L’absence de ces informations vestibulaires peut donc perturber la production de mélatonine et engendrer un sommeil de mauvaise qualité, avec des cycles éveil/sommeil perturbés. La fatigue qui en résulte viendra à son tour entraver le contrôle de l’équilibre et la stabilité de la vision.
Pour compenser son trouble de l’équilibre, le patient est en contrôle permanent. Son attention est donc majoritairement accaparée par cette nécessité, ce qui représente aussi une grande dépense énergétique. Il se fatigue donc vite et ne peut accorder la même qualité d’attention ou de concentration à d’autres sujets.
On peut également évoquer ici la baisse de l’estime de soi. La difficulté de ressentir son corps et sa verticalité génère un sentiment de vulnérabilité. La conscience de son corps dans l’espace a aussi une implication directe sur la confiance en soi qui se trouve perturbée chez le patient aréflexique.
En parler avec son entourage Le patient atteint de VBI est donc très handicapé dans sa vie quotidienne, et surtout ses mouvements. Mais ce handicap est peu compréhensible pour l’entourage car la fonction des vestibules est largement inconnue et s’appréhende difficilement. Il est cependant important d’en parler avec ses proches, de décrire au mieux ces symptômes bizarres, en s’aidant des éléments d’explications de cette brochure. Le patient peut expliquer qu’il est toujours obligé de contrôler avec sa vue le mouvement qu’il est en train de faire, de suivre prudemment une trajectoire, car il n’a plus de « pilotage automatique ». Ce contrôle demande attention et concentration en continu. Il doit l’expliquer à ses proches de même que la diminution ou la perte de confiance en soi, les activités qu’il ne peut plus faire et l’aide dont il a besoin pour pouvoir en poursuivre d’autres : présence d’un tiers en cas de baignade par exemple… C’est une remise en cause de toute la vie, et elle doit être comprise, accompagnée, et soutenue par les conjoints, la famille, les proches et les professionnels de santé. |
Les troubles de l’équilibre et les oscillopsies sont mieux tolérés avec le temps grâce à une auto-prise en charge, aux professionnels de santé et à l’entourage proche qui tous accompagnent le patient dans son évolution. Différents processus sont mis en jeu par l’organisme au fur et à mesure du temps pour répondre à la perte de la fonction vestibulaire et des deux réflexes qui lui sont liés.
Le patient va notamment développer son réflexe cervico-oculaire (RCO), qui fait appel à la proprioception, Des tests ont montré que cette fonction devient rapidement dix fois plus développée chez un patient aréflexique que chez un sujet sain. Cette montée en puissance de ressources peu exploitées jusque-là est ce que l’on appelle la vicariance. Étymologiquement, « le vicaire tente de devenir curé ».
Le réflexe cervico-oculaire tente, avec très peu d'efficacité, de suppléer le réflexe vestibulo-oculaire déficitaire. L'efficacité du réflexe cervico-oculaire chez les patients en aréflexie bilatérale est seulement de 40%, ce qui n'est donc pas très utile même si cette efficacité est très supérieure à l'efficacité nulle chez le sujet sain.
En plus de voir un réflexe tenter de compenser l’absence des deux autres, le cerveau et en particulier le cervelet, vont apprendre, d’une part, à mieux traiter les informations qui leur sont fournies et d’autre part, à trouver, par d’autres circuits, celles qui leur manquent. Cerveau et cervelet sont des organes neuro-plastiques, « plastiques » voulant dire ici « souples et adaptables ». La neuro-plasticité participe à notre capacité, tout au long de la vie, à apprendre et à s’adapter à de nouvelles situations. C’est grâce à cette capacité que l’orientation spatiale s’améliore progressivement. En pratique cette adaptation demande un immense effort de volonté et d'exercices quotidiens, répétés ; c’est la répétition qui permet au cerveau de s’adapter et retenir de nouvelles informations.
Le temps faisant son œuvre, les patients « oublient » ce qu’est la vie avec une vision stable et une marche sans contrôle. Cette habituation peut être considérée comme une ressource, même s’il est évidemment difficile d’en concevoir le bénéfice à l’annonce du diagnostic. Il faut comprendre que l’habitude participe à l’acceptation de la maladie et du handicap. Mais elle n’empêche pas en revanche, la fatigue, les difficultés quotidiennes et les risques de chute. Il est essentiel que l’entourage en ait conscience.
Comme nous l’avons vu, en l’absence des vestibules, les sources d’informations prédominantes sont la vue et la proprioception. L’utilisation de ces suppléances requiert un temps d’apprentissage. Ce temps d’apprentissage et l’efficacité des suppléances utilisées seront directement déterminés par l’intensité de la rééducation ou plutôt de l'auto-rééducation spontanée qu’offre la reprise de la vie quotidienne. Cependant, la suppléance mise en place génère souvent une dépendance, en particulier à la vue. Par dépendance, on veut dire que la suppléance dépasse son but. La vision aide mais elle peut gêner. Ainsi quand l’image bouge, le patient ne sait pas si c’est une oscillopsie, si c’est son propre corps qui bouge, ou si c’est ce qu’il voit ; et cela peut le faire chanceler. C’est ce qui lui rend si difficile l’expérience de la foule et fait dire à Pascale : « Dans les transports en commun, ce qui me gêne le plus, c’est la foule en mouvement rapide qui passe près de moi ». Le patient doit donc apprendre à ne pas se laisser tromper par un excès d'information visuelle venue en suppléance.
Evolution de l’inconfort lié aux oscillopsies. Il se réduit avec le temps, par le ralentissement des mouvements volontaires de la tête, le développement de mouvements oculaires substitutifs (saccades oculaires) et une meilleure « tolérance » à l’instabilité de l’image de l’environnement. Grâce à ces processus d’adaptation certains patients peuvent, après une période d’entraînement et de prise de confiance, reprendre la conduite automobile et des activités sportives telles que le vélo, l’équitation, le tennis, le ski… |
L’organisme s’adapte donc progressivement, mais il ne lui est pas possible de totalement compenser la perte des vestibules, si bien que les patients aréflexiques adaptent aussi leurs activités, renonçant parfois à certaines d’entre elles trop problématiques ou dangereuses et poursuivant les autres. Monique ne fait plus de footing mais désormais de la marche nordique, et profite ainsi des bâtons pour assurer sa stabilité. Elle prend des cours de Pilates à la place de la gymnastique, avec l’objectif de renforcer ses muscles profonds. Alain pour jouer un morceau de musique s’appuyait sur la lecture de la partition. Cet aller-retour entre l’instrument et la partition ne lui est plus possible, il apprend donc par cœur. « Le plaisir est moindre » reconnait-il. Mais il continue à jouer.
Pour certains, c’est l’activité professionnelle qui est impossible à poursuivre (si elle demande des gestes de grande précision ou fait appel à beaucoup de lecture informatique par exemple) : dentiste, peintre, professeur de sport, chef d’orchestre… Il s’agit là d’un renoncement majeur qui affecte profondément le psychisme des patients. Nous le verrons un peu plus loin, la reconnaissance du statut de travailleur handicapé par la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) peut permettre des adaptations du poste de travail. Dans tous les cas, l’acceptation du handicap, aussi difficile soit-elle, participe grandement au mieux-être des patients et constitue, en soi, une adaptation.
Le sens de l’équilibre chez l’Homme est une fonction complexe qui résulte d’informations sensorielles provenant de trois sources principales :
Notre maîtrise de l’équilibre est le résultat d’allers et retours incessants entre notre cerveau, notre cervelet, nos muscles et l’ensemble de nos capteurs qui fournissent les informations sur l’environnement, la position de notre corps dans cet environnement et sur la conscience que nous en avons.
En cas de déficit vestibulaire bilatéral, on compte beaucoup sur les suppléances par la vision et par le sens du mouvement musculaire pour la vie quotidienne. C’est très fatigant et parfois démoralisant mais il faut garder confiance en soi, c’est le propre de la vie. Patience, adaptation, habituation et compensation sont les éléments fondamentaux du processus général de réadaptation. Si les suppléances sensorielles sont perturbées de façon transitoire (obscurité, sol instable…) ou durable, tout est alors beaucoup plus difficile. |